vendredi 23 novembre 2012

Réflexion à propos des utopies technologiques

Lors des Rencontres Jules Verne, colloque international qui se tient annuellement à l'école Centrale de Nantes, une conférence a attiré mon attention.
Il s'agissait d'une conférence intitulée "Quand les mondes virtuels entrent en concurrence avec le réel".
Les actes du colloque paraîtrons, mais d'ores et déjà, il m'apparaît important d'exprimer certaines choses.

Et si les mondes virtuels n'entraient pas en concurrence avec le réel mais au contraire constituaient un espace, un temps d'expérimentation de ce réel ?
Les mondes virtuels ne se cantonnent pas aux jeux en ligne comme ceux présentés alors (World of Warcraft, Second Life, etc.). Nous pourrions également parler du jeu de rôle grandeur nature avec informatique embarquée, de réalité augmentée, de jeux semi-réels. Où l'espace du jeu est l'espace urbain par exemple.
Nous ne sommes pas déconnectés du champ social, nous ne sommes pas dans la recherche d'une maîtrise technique ou technologique mais dans un champ d'expérimentation ou un autre regard est possible (de la même manière que dans une posture artistique) à propos d'un lieu, d'une réalité tangible, avec une conscience différente, déplacée, orientée, vers le fait que nous agissons en réseau, que nous sommes géolocalisés par exemple mais sans être passifs vis-à-vis de ces technologies.
C'est ici la possibilité de s'approprier ces technologies, de les détourner de leur usage ordinaire, de prendre conscience que nous sommes dans un espace dense, constitué d'une co-existence de strates sociales, historiques, matérielles, sensibles, de formes, de flux, d'information, dans un enchevêtrement.
Il ne faut pas négliger l'importance du jeu dans le développement de l'humanité, il a cette capacité d'être structurant.
Certains jeux grandeur nature avec informatique embarquée fonctionnent uniquement avec des logiciels libres (GNU GPL, licence ArtLibre) ce choix parle d'une volonté de lier un idéal social à une pratique concrète.
La conférence précédente intitulée "Le mouvement du logiciel libre comme utopie concrète" évoquait Bernard Stiegler et son ouvrage sur l'économie de la contribution. J'ajoute la catastrophé du sensible qui dénonce la perte de participation sensible, la perte de l'âme noétique d'une société passive et consommatrice. L'investissement sensible, c'est une manière d'être là, d'être présent, attentif à ce qui nous entoure ou nous constitue.
Dans un monde virtuel, comme ailleurs, on agit, on pense, on perçoit, on ressent. Il n'y a pas de séparation stricte entre penser et agir en ce sens qu'imaginer c'est agir. C'est un mouvement de la pensée.

La vidéo comme objet de la vidéo et comme recherche sur la réalité

ou
La dissolution comme tentative de l'oubli


Le travail de Siegfried Bréger est réflexion sur la refléxion.
Il s'agit, dans un premier temps de rendre apparente la superposition des strates temporelles et spatiales. L'épaisseur de l'espace : sémantique, culturel, sensible.
L'enchevêtrement, intime pénétration des plans et des temporalités les uns dans les autres.
La cohérence se fait chez le spectateur à partir de la dimension relationnelle et de la somme de ses expériences passées et présentes. D'un ensemble d'informations factuelles nait le sens.
Et c'est par l'interpénétration des objets et des sens que l'artiste tente de rendre intelligible ce qui echappe à notre conception / perception du monde.
C'est la question de la frontière, de l'impossible saisissement.
Densité, entropie.
Le flou.

Simultanément et de manière différée, des mouvements antinomiques occupent une même succession de plans. Agrégat éphémère de forces ou d'éléments..
Les éléments sont en tension. Tension pour exister dans la compréhension du spectateur.
Tension du spectateur qui, face à la compléxité, se heurte aux limites des possibilités de son saisissement. Du général, de l'universel, de l'intemporel, du concept : Le cycle de l'eau, le fleuve, le brouillard, les effets du vent, les gestes du quotidien, la douche. Au particulier, au singulier, à l'individuel, à l'anecdotique : le cycle de l'eau, un fleuve, un brouillard, des effets de vent, une douche. Incessants allers et retours du point de vue, changement de focale spaciale et temporelle, d'echelle de compréhension. Variations des différents temps qui passent et se superposent. Incessants déplacements, mouvements perpétuels de natures différentes. Voir dans le présent avec sa mémoire. Changement d'échelle, attente, répétition, continuité, simultanéité, différé.
Un constat : nous ne voyons que des fragments de la réalité.

Nous sommes dans le sujet, nous sommes le sujet, nous somme autour du sujet : celui du questionnement d'un voir primordial dont le dessein est de faire apparaître une structure première : une structure apriorique et transcendantale.
L'apparence s'affiche comme le contraire de la réalité, qui n'est pas dans le domaine de l'idée (en effet, on distingue aisément l'idée, de la chose dont on a une idée). Cette distinction introduit le questionnement métaphysique sur la réalité des apparences, et sur sa pluralité qui s'oppose à l'identité de l'essence. C'est cela dont il est question ici.
C'est la question du phénomène lui-même, de l’apparaître comme tel (l'approche est sensiblement phénoménologique). Entendant par là non pas la chose dans sa simple extériorité, mais bien la relation de l’esprit à ce à quoi il est en relation. Une relation qui est première, une relation qui est intentionnelle.
Second constat : l'esprit est relation au monde.

Siegfried Bréger cherche à dissoudre les frontières entre imaginaire et réalité, à saisir le point d'émergence du sujet, le fondement. Pour ce faire, il nous propose de dépasser les limites du paradoxe, le lieu des tensions : privé / public, universel / particulier, intérieur / extérieur, temporel / atemporel. Les titres sont évocateurs :

« L'infigurable dans la figure
L'inexprimable dans la parole
L'incirconscriptible dans le lieu
L'inaudible dans le son
La vie dans la mort,
L'impalpable dans le tangible »

L'artiste joue sur le concept d'essence, sur la métaphysique, sur la distinction de l'être, sur "ce que la chose est", sur l'opposition au concept d'existence, sur "l'acte d'exister". Et en même temps sur ce que la substance permet de dégager : la nature essentielle et invariante de l'être.
L'essence ne désigne pas une portion séparée de la réalité observable, mais l’unité de l’ensemble à partir de quoi les éléments séparés de la réalité peuvent être pris en compte et peuvent être compris. Il y aurait donc une forme première, une unité : celle de la perception, de l’imagination, de la volonté, etc. Et cette forme constiturait une essence.



L'abstrait dans le concret
Le figuré dans le figurant
Le tout dans le détail
Le concept dans l'objet
L'universel dans le singulier
Le mouvement dans l'inerte
L'essence dans la substance



La substance est ce qui est constitutif d'un être, ce qui persiste dans l'être au cours d'un changement. Les accidents sont les propriétés susceptibles d'être modifiées.
Distinguons ainsi réalité sensible et réalité intelligible ou idéelle, la première ne tenant son essence que de la seconde ; mais les secondes échappent à la connaissance commune des hommes, qui manquent donc une part de réalité.

L'atmosphère
Le temps qui passe
Les gestes du quotidien
L'attente
La vie

Archétypes qui servent de modèles aux choses du monde sensible, au devenir et domaine de l'essentialisme au sens où l'existence serait empirique et ne permetrait pas de connaître les êtres. C'est le domaine de l'accidentel et du contingent, du multiple et de l'altérité irréductible.
Il y a ici une tension propre à la conscience et cette tension est relation avec le monde dans lequel elle vit. C'est la structure fondamentale du « être au monde comme homme », du « être au monde comme conscience ». L'expérience pure dont parle Husserl. Ce pourquoi la parole modifie la représentation de l'espace ou encore pourquoi la présence est plus importante que le perçu.

Et l'artiste rappelle ainsi que le devenir n'admet aucune réalité stable. Que l'idée d'être immuable est contradicatoire, que l'essence de l'homme consiste à se comprendre en tant qu'être-là, en tant qu'existence.


Anaïs Rolez, 2012

jeudi 19 juillet 2012

L'histoire de l'art - liens avec la cybernétique – communication / information

Si l’histoire de l’art analyse beaucoup la forme (matériaux, techniques, styles), elle étudie aussi les signes, tangibles ou latents, inscrits par l’auteur dans son œuvre. La représentation d’une œuvre se fait par le biais d’un ensemble d’intermédiaires, qui lient œuvre d’art et société. Elle est un processus de va-et-vient entre la technologie et les acteurs. L’objet technique progresse dans sa définition par ses interactions avec la société.
Réciproquement, la société avance dans sa définition par ses interactions avec l’objet. La médiation est un processus d’adaptation continu et réciproque.

mercredi 30 mai 2012

Le Laboratoire des Hypothèses de Fabrice Gallis

 ON TIME vous invite:

au premier rendez-vous du Laboratoire des Hypothèses de l'artiste Fabrice Gallis pour l'été 2012
sur le site archéologique Saint-Lupien de Rezé (F- 44400):

Colloque :  "ETRE DEDANS, UNE ARCHÉOLOGIE EN TEMPS RÉEL"

    Vendredi 1er Juin 2012 à 18h
    Conférences de Jean Cristofol (épistémologue), Luc Kerléo (artiste) et David Morin-Ulmann (sociologue et philosophe)


ainsi qu'à la présentation de L'Embarcation avant son lancement à la cale de Trentemoult le 7 juin à 18h30.

En prolongement des "entretiens élargis" menés par Fabrice Gallis et Anaïs Rolez au sein du Laboratoire des Hypothèses,

RDV à Saint-Lupien pour le colloque "Etre dedans, une archéologie en temps réel":

En produisant des outils de prospective poétique, le laboratoire expérimentera des méthodes d'investigation par analogie (ou par dérive).
Il s'agira de questionner les résonances nées du rapprochement entre art, science et fiction.
Les intervenants jetteront leurs filets pour arpenter de l'intérieur cette épistémologie de la totalité.

       Anaïs Rolez, professeur d'histoire de l'art contemporain, à l'Université de Nantes.



Suivi des RDV suivants:

Jeudi 7 juin, à 18h30 : Départ de l'expédition
Inauguration et lancement de L'Embarcation en grandes pompes à partir de la cale du Centre Nautique Sèvre et Loire, à Trentemoult, fanfare "le grand machin chose", présentation par les-films-du-camion du documentaire sur le Laboratoire des Hypothèses et diffusion en direct des premiers moments de l'aventure.
Samedi 9 juin à 14h : Entretien-concert sur le site Saint-Lupien avec le groupe d'improvisation Métal Physique, et conférence de l'équipage en duplex.
Samedi 16 juin, Retour de l'expédition sur le site Saint-Lupien, premiers résultats des recherches à 14h et invitation publique à une « Paëlla de la Loire » le soir à partir de 19h (réservations souhaitées).
Mardi 19 juin, sur le parvis de l'Espace Diderot, présentation des découvertes effectuées durant l'expédition à l'occasion de l'inauguration de l'exposition « La Loire dessus/dessous, archéologie d'un fleuve ».
Dimanche 8 juillet à 11h, conférence publique de Fabrice Gallis à la Maison des Isles de Trentemoult : « Inventer la Loire, récentes découvertes du Laboratoire des Hypothèses »

Le Laboratoire des Hypothèses sera ouvert au public sur le site archéologique de Rezé du 8 juin au 15 juillet 2012, du mercredi au dimanche de 14h à 19h.

+ d'infos le site internet du projet http://laboratoiredeshypotheses.info

Le Laboratoire des Hypothèses est co-produit par la Ville de Rezé et l'association ON TIME, en partenariat avec le Collège S. Allende, le Centre Nautique Loire et Seil, la Radio Jet FM
et reçoit le soutient du Conseil Général de Loire Atlantique, de la DRAC-Préfecture de la Région des Pays de la Loire et la DRAC-Préfecture de Basse-Normandie.


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ON TIME, plateforme de production artistique
501, Maison Radieuse
F-44400 Rezé
http://www.ontime.fr

Contact:  contact@ontime.fr - 06 66 65 96 31.

lundi 9 avril 2012

La Machine à peindre, Maurice Fréchuret, extrait de l'introduction


Georg Simmel, dans un texte écrit en 1909 et intitulé Pont et porte, s'interrogeait sur l'impitoyable extériorité spatiale à laquelle était vouée toute chose et sur l'aptitude contraire – et selon lui propre à l'homme -, de lier et de délier, de séparer et rapprocher, de détacher ou d'unir. Le principe étant de référer l'un à l'autre, au moins dans la conscience de l'individu, deux objets initialement installés dans leur « site tranquille », soit en établissant un obstacle qui les tient à distance, soit inversement, en les raccordant l'un à l'autre par un procédé unificateur déterminé. Ces deux opérations de liaison ou de scission paraissaient, au yeux du sociologue allemand, devoir singulariser une attitude typiquement humaine qu'il résumait de la manière suivante : « dans un sens immédiat aussi bien que symbolique, et corporel aussi bien que spirituel, nous sommes à chaque instant ; affirmait-il, ceux qui séparent le relié ou qui relient le séparé (George Simmel « Brücke und Tür » in Das Individuum und die Freiheit, Waggenbach Verlag, Berlin, 184, p. 7-11. Ce texte a été publié en français depuis sous le titre « Pont et porte » in La tragédie de la culture et autres essais, Petite Bibliothèque Rivages, Paris, 1988, p.159-166. La référence citée se trouve page 160 de l'ouvrage).
On pourrait déceler dans cette remarque quelques gages concédés à l'esprit unitaire, religieux ou communautaire et le désir d'union et d'inclinaison à relier, à l'image du pont, des choses initialement séparées. Mais nous pourrions aussi bien repérer dans cette observation le signe contraire, celui d'une pensée qui préfère l'agencement séparé voire hiérarchisé des choses, lesquelles, chacune à leur place et sans lien commun l'une avec l'autre constituent une constellation satisfaisante parce qu'efficace et simple, celle là même qui oriente alors le monde des hommes et qui, au moins en apparence , lui assure sa cohésion. La pensée dialectique de Simmel nous préserve du danger d'effectuer à sa place tel ou tel choix et encore moins d'en tenir un pour définitif. Elle nous inciterait plutôt à mieux comprendre les mécanismes en place .
[…] Quand Simmel déclare « qu'il serait absurde, pratiquement et logiquement, de relier ce qui n'était pas séparé » (ibid. p.159), il n'exprime pas une simple et banale évidence, il laisse entendre que c'est dans l'union des choses différentes, non-homologues, celles qui se présentent « les unes hors des autres » que l'homme trouve l'expérience la plus intéressante à tenter. Or, cette expérience dont Lautréamont a, depuis quelques temps déjà, esquissé la portée dans sa fameuse formule « beau comme la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection », Marcel Duchamp va concrètement la réaliser à la fin de 1913, avec Roue de bicyclette, œuvre qui associe justement la réalité distincte de deux objets, une roue de bicyclette, curieusement éponyme de l'œuvre, et un tabouret en bois. Le couplage de deux objets différents et, par bien des côtés, diamétralement opposés en une liaison complexe où jouent le naturel et l'usiné, le mobile et le statique, le mat et le brillant... semble, d'une manière certes bien inattendue répondre au sollicitations mêmes de notre auteur. Le bénéfice produit par le rapprochement de deux choses distinctes et l'enrichissement de sens qui résulte de cette opération – toute chose qui, aujourd'hui, avec le recul historique, n'est plus à démontrer – suffit à conférer au procédé la plus grande légitimité. Un tel procédé, fondé sur le rapprochement ou la comparaison, apte à enregistrer les résonances des objets entre eux, a également trouvé son application dans certaines méthodes d'analyse de l'œuvre d'art et, sous le vocable un peu vague et quelque peu dévalorisé aujourd'hui de formalisme, a permis et permet encore une appréhension tout à fait intéressante, parce que non univoque, des choses et des images. La méthode formaliste est celle qui permet la mise en forme ou, pour reprendre la notion introduite par Georges Didi-Huberman, la « formation » de l'œuvre comme relation, c'est-à-dire comme « un processus dialectique qui met fin au conflit ou qui articule un certain nombre de choses, un certain nombre d'aspects » (Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Editions de Minuit, Paris, 1992, p.167). L'analyse de Georg Simmel est, à cet égard, particulièrement importante en ce qu'elle sut développer une mise en garde des plus vives contre la dislocation de la forme ou contre ce « chaos de formes atomisées », à ses yeux, inévitable quand les œuvres cessent d'être mises en relation les unes avec les autres.

Quand il n'y plus de formes (c'est-à-dire d'œuvres qui se renvoient les unes aux autres), il n'y plus de culture. (Jean-Louis Vieillard-Baron, Introduction à Georges Simmel, Philosophie de la modernité, Ed. Payot, 1990, p.56). Mettre en conflit ou trouver les points d'articulation, mettre en lumière le rapport dialectique des œuvres entre elles, c'est bien l'exigence radicale d'une histoire de l'art qui, mise en alerte par la réflexion sociologique, trouve, de surcroît, dans les propositions des artistes eux-mêmes, de quoi fonder son approche. La roue de bicyclette pourrait-être aussi lue comme une proposition méthodologique exemplaire : le formidable jaillissement de sens qui résulta du rapprochement de ces deux objets, loin d'être tari, peut être perçu comme le garant le plus sûr d'une méthode d'analyse qui privilégie les confrontations et juge particulièrement riche « l'engendrement dialectique » qui en résulte. Mais, la puissance opératoire du jeu dialectique peut trouver, en la chose même, le moyen de s'affirmer et de s'affiner au mieux. Dans le texte déjà cité Simmel montre comment une porte est l'illustration parfaite d'une corrélation duelle, figure paradigmatique de l'ambivalence, où « séparation et raccordement ne sont que les deux aspects du même acte ». Il montre le beau déploiement de sens qu'induit la simple réalité d'une porte, véritable jointure entre l'homme et l'espace et abolition de la séparation entre intérieur et extérieur.

Maurice Fréchuret, La Machine à peindre, ed. J. Chambon, Paris, 1994