samedi 10 septembre 2011

Discussion entre Yves Klein et Pierre Restany, 1961

Discussion entre Yves Klein et Pierre Restany sur la mise au point du livre Yves Klein le monochrome (15.12.1961)


Yves Klein : L'événement c'est évidemment le Vide chez Iris Clert (1958)
On retourne au même schéma que nous avons fait la première fois :
  • Histoire
  • Analyse

Pierre Restany : Alors là l'analyse est très importante parce que le vide amène à l'immatériel etc... Très important : - le vide et le branchement sur l'immatériel -
Notons au passage l'importance que cette exposition a eu pour Tinguely.

Yves Klein : Oui ça l'a réveillé. Il le reconnaît très bien. Il est resté toute la soirée stupéfié, il ne voulait absolument pas partir etc...
Il y a un côté très important c'est le côté de cette exposition du vide c'est-à-dire de l'immatériel pictural que j'avais situé donc, aussi bien en 57 qu'en 58, dans les limites malheureusement architectoniques ; c'était en sommes une galerie de tableaux , elle était vide, je présentais l'atmosphère de la peinture dans la galerie de tableau non pas les murs comme beaucoup de gens l'ont cru. Mais c'était l'atmosphère en soi de partout , qui s'infiltrait partout , qui s'imprégnait . L'imprégnation, le phénomène de l'imprégnation.

Restany : c'est-à-dire que cette zone de sensibilité picturale immatérielle avait encore un support à savoir : le murs de la galerie.

Yves Klein ; C'est-à-dire non. Je disais déjà cette époque là que c'était une imprégnation qui partait hors des dimensions, qui traversait tout, qui s'imprégnait dans tout, aussi bien dans la matière que dans l'atmosphère que dans le vide, mais ce qui était très important, c'est qu'elle était encore figurée. Figurée par la galerie. C'était le lieu de rencontre ; c'était le haut lieu, comme mon atelier aurait pu l'être : en somme j'en avais fait mon atelier. Je voulais en somme présenter l'atmosphère dans cette galerie, qui règne dans l'atelier, la présenter dans cette galerie.
Mais alors ce qui est très important c'est que je me suis aperçu de cela, d'ailleurs on a discuté de ça très longtemps pendant la durée de l'exposition avec tout le monde et c'est là que j'ai fait cette fameuse exposition à Anvers, qui n'avait aucune valeur comme exposition, mais où je suis arrivé le jour du vernissage, à l'heure du vernissage, et on avait laissé mon emplacement vide j'avais dit que j'amènerais mon matériel et lors évidemment personne ne savait de quoi il s'agissait. Tinguely avait exposé à l'exposition et il était dans le coup lui.

Restany : C'était quand l'exposition à Anvers?

Klein : C'était environ 3 mois après l'exposition d'avril 58. Je vais rechercher.

Restany : L'important c'est que tu me précises tout de suite si c'était entre ton exposition d'avril 58 : « Le Vide », et l'exposition en collaboration avec Tinguely en novembre.

Klein : entre les deux
Le principe était formidable parce que c'est là où j'ai dit en arrivant je n'aurais pas dû venir du tout et mon nom n'aurait pas dû figurer sur le catalogue. C'était l'impersonnalisation que je voulais.
La date de l'exposition mars 1959 donc plus tard.


[…]
Restany : Nous sommes en 1958 ; novembre : c'est le premier résultat tangible si l'on peut dire, de la manifestation de l'immatériel à savoir la collaboration avec Tinguely : la vitesse pure et stabilité monochrome, votre exposition commune chez Iris Clert.

Klein : La collaboration avec Tinguely a commencé bien avant cela. C'était à la suite de l'exposition du Vide où Tinguely avait été très enthousiasmé et m'avait proposé de faire quelque chose en commun. Moi, à ce moment là j'allais chez Tinguely parce que je ramassais des pierres dans son jardin pour les peindre en bleu ou pour en faire des socles pour mes éponges, et Tinguely a proposé de faire un tableau en commun : je ferrais le fond monochrome bleu, et lui ferait bouger des éléments sur ce panneau. Et ça devait être présenté au Salon des Réalités Nouvelles.. c'est à ce moment que … a donné sa démission parce qu'on nous a refusés tous les deux en bloc, et …. a envoyé sa démission à Fontene. Te tu rappelles qu'en 55 j'avais été refusé déjà au Salon et alors, une deuxième fois Tinguely a été refusé avec moi alors c'est là où nous nous sommes dits bon et bien partons en vacances et oublions cela. Et ensuite au retour nous avions mûri tous les deux la question chacun de notre côté, et en septembre nous avons préparé cette collaboration qui était beaucoup plus précise. C'est-à-dire que lui se transformait en le mouvement lui-même, sur place, et moi, j'étais le monochrome qui par ce mouvement était transformé en : vitesse pure et stabilité monochrome, parce que la monochromie restait stable t prenait une valeur très étrange sur les bords.

Restany : Il y avait quand même deux choses dans cette exposition, qu'il faut dégager, d'une part ce que tu viens de dire, c'est-à-dire le phénomène de vitesse pure et d'autre part de stabilité monochrome qui était surtout sensible finalement dans tous les disques qui étaient animés dans un mouvement de rotation plus ou moins rapide. Disons : tous les disques en général, ce qui arrangeait tout le monde ; car chacun restait à son propre niveau et sur ses positions. Dans le fond l'image que Tinguely animait était bien la tienne , mais en même temps, comme il sortit d'une époque géométrique, le cercle qu'il animait comme cela ne jurait pas avec son imagination de l'époque, et d'un autre côté pour toi, c'est une façon de diffuser le monochrome. Mais il y avait quelque chose de plus important et dont nous sous sommes aperçus par la suite, parce que cela est à l'origine de tout le développement de l'œuvre de Tinguely. C'était l'occupation de l'espace. Là où il n'y avait plus le simple phénomène de diffusion de la couleur physique pure, avec la vitesse pure d'un côté et la stabilité monochrome de l'autre, il y avait cette structure et ce bruit. Et ce bruit déjà et cette machine qui était une construction.
Le disque blanc ou bleu qui était ta participation à la machine, était animé d'un tressautement à ce moment là. Et ce tressautement la faisait participer d'une autre façon. Ce tressautement appelle cette participation du mouvement dans ton œuvre, à savoir que le tressautement préfigure un peu en quelque sorte, le tremblement des feuilles d'or.

Klein : C'est venu d'une erreur lorsque j'essayais de faire des monochromes en 50 à Londres, et que je n'y arrivais pas, parce que j'étais un mauvais ouvrier doreur. Mais alors après je me suis aperçu que ces feuilles étaient très jolies en mouvement et je me suis dit que cette erreur est une belle chose : utilisons-là.

Restany : en fait on ne peut pas ne pas faire ce petit rapprochement bien que tu sois pour toi mineur.

Klein : C'est une coïncidence intéressante.

Restany : tandis que pour Tinguely la chose est beaucoup plus importante parce que c'est de là qu'est né manifestement sa nouvelle prise d'action sur le monde.

Klein : Ce type là avait cette obsession du mouvement toujours.

Restany : Il y a eu collaboration, mais je ne veux pas dire par là que c'est toi qui lui a donné cette idée.

Klein : C'était une machine qui fonctionnait, on ne savait pas si elle n'allait pas sauter à la figure des gens, elle chauffait terriblement . Cette excavatrice faisait, par un mauvais contact, une étincelle bleue or si te souviens, c'était le seul cercle que faisait tourner Tinguely qui était blanc. Et l'étincelle bleue est devenue comme une aura derrière le petit moteur autour de ce blanc, c'était très curieux.
ça me rappelle le mur de feu chez Colette Allendy fait avec des fusées. Quand j'ai fait le mur de feu, au lieu de le faire au gaz, je l'i fait avec des feux de bengale. C'était formidable, je voyais cette lumière bleue autour de ce cercle blanc. Et ça venait d'un mauvais contact. D'une erreur!

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